Pour tous ceux qui sont nés dans les années ’70, les après-midis étaient bercés par les rdv avec les dessins animés où régnaient joie, bonne humeur…mais surtout la morale et les bons sentiments dans lesquels nos parents nous élevaient. On y voyait Heidi faire de longues ballades avec Peter dans les montagnes enneigées des Alpes suisses, les princesses se réveiller d’un long sommeil suite au baiser de leurs princes charmants, les personnages de Disney s’amuser et s’aimer.
Tous terminaient de la même façon : ils vécurent heureux. Mais ceci c’était avant. Avant que l’artiste italien Luca de March ne revisite avec œil lucide et en clé moderne toutes les fables avec lesquelles on a grandi. La référence à l’actualité est frappante et amusante. La première réaction est de sourire. On rit quand on voit la princesse qui pour meubler son palais emmène le prince charmant…chez IKEA, quand l’un des sept nains photographie avec son smartphone (qui pour le coup aurait toutes les raisons d’être un Apple…!) Blanche Neige empoissonnée gisante inanimée au sol, Jeanne et Serge qui délaissent le terrain de volley pour passer leur après-midi à jouer à la console, où encore Heidi heureuse de voir son chalet du bonheur transformé en un MacDo contre de l’argent avec lequel elle pourra acheter…des frites !
“Dimanche après-midi” (on a beau l’aimer, mais qui n’a pas vécu cette scène?), “Question de priorité”, “Sportifs modernes”, “It’s only business” : des titres évocateurs d’une réalité cruelle adoucie par les formes du dessin animé.
Et c’est là que le sourire laisse place à la réflexion… IKEA se transforme en cauchemar pour de nombreux couples, la place trop présente dans nos vies des téléphones qui parfois nous font oublier les vraies priorités, les bons sentiments disparaissent au profit de l’argent… Chacun est interpelé par ces œuvres. Chacun est libre de penser. Le pari de Luca De March est réussi !
Avec son pinceau Luca de March évoque différents sujets d’actualité
L’immigration
Avec un Speed Gonzales bloqué de l’autre côté de la frontière et ne pourra plus faire rire des millions d’enfants, ou Jasmine que l’on retrouve plus assise sur son tapis volant mais debout au feu rouge à laver les vitres des voitures…
La crise économique
Avec un Bacchus obligé à boire du Tavernello (vin italien équivalent du cubi bon marché français), ou un monde où même les princesses n’ont plus de travail…
« La crise est là » « Depression Time »
La crise sentimentale des temps modernes
Où Pollon soutient Cupidon qui lance ses flèches d’amour mais sans succès, ou le prince charmant se contentant de la sorcière…
« Crise grecque » « Du moment qu’elle respire »
Le rôle des femmes dans la société est encore loin de celui raconté dans les fables. Les petites qui rêvent de devenir une princesse risquent de se retrouver submergées par les tâches ménagères, tout comme les Drôles de Dames qui délaissent arts martiaux et pistolets contre balai et aspirateur, ou les princesses qui ne feront pas qu’habiter oisivement les châteaux mais seront appelées à participer à leur entretien…
« Desperate Angels »v « Et moi qui pensais que le mariage changerait ma vie »
Aucun aspect de la vie n’échappe à l’œil de Luca de March : les impôts toujours plus pressants qui brisent nos rêves, la pollution… jusqu’à la chirurgie esthétique et la malbouffe…
« L’invitation », « Lieux incontaminés », « De toute façon ce ne sont pas des vrais », « Les jeunes ne mangent plus de fruits »…des façons détournées d’aborder des sujets sensibles.
Et il arrive à un niveau très haut et subtile en transformant la Pietà de Michel-Ange en une mère victime du temps…aïe, aïe, aïe !!!
PORTRAIT de LUCA DE MARCH
Luca De March est né à Turin en 1979. Il a grandi avec ces dessins animés qu’il réinterprète en clé moderne. Dans un premier temps, il exprime sa vision de l’art dans le street art avant d’approcher la peinture sur toile qui devient sa signature. Il a exposé son œuvre dans nombreuses galeries et salons dont le Carrousel du Louvre et La Croisette en France. Un style pop, coloré où le bon (savoir) vivre perd toute raison exister. Le monde rêvé de Disney (encore très cher à nos yeux aujourd’hui : pour info on visite plus Eurodisney que la Tour Eiffel…) se transforme en un monde parallèle. Les personnages sont les mêmes mais les vies sont différentes : les sorcières n’empoisonnent plus avec une pomme mais avec les drogues modernes, les princesses désabusées deviennent femmes normales, les princes charmants n’ont plus de titres de noblesse d’âme, les méchants deviennent les protagonistes et réécrivent leur version de la vie, où cynisme est le seul roi.
Rencontre avec l’artiste Lucas De March en 10 questions
D’où vient votre style ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?
La passion du dessin m’accompagne depuis mon plus jeune âge. J’avais toujours avec moi un album sur lequel je dessinais dès que j’avais un moment de libre…Vers mes 13-14 ans, j’ai un peu abandonné le dessin pour faire place à l’écriture, notamment aux thèmes satiriques. Puis, un jour, j’ai repris les pinceaux et j’ai combiné mes compétences manuelles en dessin avec la satire…. Et me voilà.
Je trouve l’inspiration en observant le monde « varié » qui nous entoure. Contradictions, injustices, épisodes amusants…. Tout est là, au bout des doigts. En famille, dans le bus, à chaque coin de rue, on peut trouver des idées intéressantes.
Pensez-vous que c’est l’actualité qui vous inspire pour créer une œuvre ou vous inspirez-vous de dessins animés que vous adaptez à l’actualité ?
Dans la plupart des cas, je m’inspire de l’actualité. Comme un photographe, je veux créer une « image fixe » du présent, en essayant de laisser de côté les opinions ou les jugements personnels. Je veux que le spectateur donne son interprétation personnelle de l’œuvre. Les personnages de dessins animés sont parfaits pour cela. Ils font partie de l’imaginaire collectif de chacun d’entre nous. Ce sont des personnages propres, sans tache. Il est politiquement incorrect de les insérer dans le chaos qui nous entoure, et j’aime beaucoup.
Quels sont les sujets que vous préférez traiter ?
Des personnages des contes de fées, en particulier les premiers dessins animés de Disney. Blanche-Neige, la pauvre, est le sujet que j’ai utilisé la plupart du temps. Je suis frappé par sa pureté naturelle, l’innocence qu’elle porte en elle.
Quel est votre travail préféré ? Je sais que ce sera une tâche difficile…
Plus que difficile, c’est une tâche impossible. C’est un peu comme demander à un père de deux enfants s’il a un favori. Cela dit, il y a des œuvres auxquelles je suis plus attaché, peut-être parce qu’elles ont été inspirées par un moment historique particulier. L’un d’eux s’intitule « Border line » et représente Mickey Mouse, américain, et Speedy Gonzales, mexicain, séparés par un très haut mur sans fin. L’idée m’est venue lorsque Donald Trump a décidé de mettre en place le « mur de la honte », la barrière créée sous la présidence de George W. Bush et qui sépare les États-Unis du Mexique.
Quelle sera votre prochaine toile ?
J’ai toujours plus d’un projet en cours. J’ai toujours beaucoup d’idées que je dois écrire ou traduire en croquis sinon j’oublie. En ce moment, je travaille sur quelques croquis… L’un porte sur la conscience et deux autres sur la relation entre l’homme et l’animal.
La toile que vous rêvez de créer ?
Dans chaque tableau, j’essaie de créer quelque chose, une étincelle qui réussit, d’une certaine manière, à faire réfléchir. Susciter un indice, une idée, une pensée qui est traitée par le spectateur. Même à travers un sourire, pourquoi pas. Je voudrais créer une œuvre capable de faire réfléchir même le plus petit des spectateurs.
La toile que vous n’oseriez jamais faire ?
Bonne question…. Je ne serais pas à l’aise de peindre une toile qui contiendrait mes opinions personnelles sur certains sujets délicats, des sujets qui pourraient diviser plutôt qu’unir. La religion, par exemple. J’ai, comme tout le monde, ma propre opinion sur le sujet, mais je préfère ne pas la rendre explicite dans mes peintures.
Quels sont vos futurs projets ?
J’ai depuis peu développé mon activité artistique de peinture traditionnelle en une ligne de vêtements avec les images de mes peintures. Les t-shirts et les sweat-shirts connaissent un grand succès en Italie, sont en vente dans de nombreux magasins. Lancer une ligne de vêtements avec des images de mes peintures, en ce moment historique où, en raison de la pandémie, il est beaucoup plus difficile d’aller voir les peintures dans les expositions, est un bon moyen de maintenir mon contact vers le grand public. En même temps, je voudrais me remettre à écrire. J’ai un millier de projets en cours que je devrais terminer….
Si vous deviez résumer Luca De March dans l’un de vos tableaux, quel serait-il ?
Ce serait une chose très compliquée, même une peinture futuriste ne pourrait pas le faire. Blague à part, je me sens souvent comme Blanche-Neige en « période de dépression », allongée sur le sol, désespérée, avec le panneau « ex princesse, pas de travail, aidez-moi ». Je demande trop souvent l’aide de mon entourage…. Sinon, où trouverais-je l’inspiration pour mes peintures ?
Quel est le personnage qui vous a le plus blessé de maltraiter dans l’une de vos œuvres ?
Le personnage que j’ai le plus regretté de maltraiter est le Peter Pan de « L’invasion de la maison », un tableau qui traite du thème de l’autodéfense. Le pauvre Peter Pan, qui vient d’entrer dans la chambre de Wandy, est tué par son père pour tenter de protéger ses enfants. C’est une manière comme une autre de montrer, en mélangeant le conte de fée et la réalité, comment les parents, dans le but de protéger leurs enfants, mettent en fait un terme à leurs rêves.
Et si c’était bien Luca de March à avoir raison? Si la Schtroumpfette n’était qu’un Schtroumf comme les autres? Vous avez 3 heures…
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